Joanna Piotrowska – Entre nous

Exposition du 16 février au 21 mai 2023
  • Joanna Piotrowska, Sans titre, 2015, 21 x 27 cm, tirage gélatino argentique © Joanna Piotrowska, courtesy de l’artiste et Galerie Madragoa, Lisbonne

  • Marc Domage

  • Joanna Piotrowska, Sans titre, 2017, 95 x120cm, tirage gélatino argentique © Joanna Piotrowska, courtesy de l’artiste et Galerie Thomas Zander, Cologne

  • Marc Domage

  • Joanna Piotrowska, Sans titre, 2022, 130 x 160cm, tirage gélatino argentique © Joanna Piotrowska,courtesy de l’artiste et Phillida Reid, Londres

  • Marc Domage

À partir du 16 février, LE BAL présente la première exposition en France dédiée à l’artiste polonaise Joanna Piotrowska, remarquée à la dernière Biennale de Venise et lauréate du Lewis Baltz Research Fund (2018) initié par LE BAL. Depuis une dizaine d’années, elle développe un univers visuel au croisement de la photographie et de la performance, qui ausculte les relations complexes et ambiguës au sein du cercle familial.

Se confronter à l’œuvre de la jeune artiste polonaise Joanna Piotrowska invite inévitablement à faire l’expérience de la contrainte. De ses photographies ou vidéos se dégagent une atmosphère d’enfermement, de violence sourde. S’y observe des corps sous tension aux postures artificielles mis en scène dans des intérieurs domestiques, des cabanes enfantines et précaires construites de toutes pièces par des adultes au sein de leurs propres maisons, des gestes contre des ennemis invisibles, mais aussi des cages de zoos désertés par leurs occupants. Autant de situations dans lesquelles l’expression corporelle se substitue à l’expression verbale. Ce que le langage ne peut exprimer, Joanna Piotrowska le met volontairement en scène par des gestes et attitudes soigneusement composés, créant ainsi un nouvel alphabet corporel, insolite et grinçant.

Ainsi sa première série Frowst, réalisée à partir de 2014, reconstitue un étrange album de famille. Inspirée par les pratiques thérapeutiques de groupes, Joanna Piotrowska demande à des proches de poser en famille. Lieu potentiel de tendresse mais aussi d’emprise, d’émancipation et d’oppression, la famille agit ici comme un miroir de la société tout entière : les multiples systèmes de domination s’incarnent jusqu’à influer sur le mouvement des corps et leurs langages. Dans ces duos ou trios mis en scène, impossible de distinguer la part de réel et celle de fiction d’autant que l’artiste n’hésite pas à y convoquer tous les codes de la photographie documentaire. Ces images de corps étrangement entrelacés, où la ligne ténue entre étreinte et contrainte n’est plus si claire, font ressentir toute l’ambiguïté qui habite son œuvre.

« Il m’est important de passer de l’animal à l’humain, de l’humain au foyer, du foyer à la cage, de la cage au refuge, à la sécurité, à l’intimité, au toucher.
Je navigue entre ces différents points de référence, tout en essayant de mettre au jour leurs ramifications.  » – Joanna Piotrowska

Pour transcrire cette dualité, Joanna Piotrowska performe le réel. Elle photographie des structures édifiées par des adultes au sein de leurs propres maisons. Ces draps tendus, agrégats de chaises, de meubles, d’objets divers, ces abris de fortune sont-ils destinés à s’isoler du monde extérieur, à s’extraire de sa propre vie ? Inspirée des écrits de la psychologue féministe américaine Carol Gilligan et de manuels d’autodéfense, une autre série d’images se concentre quant à elle sur le corps des femmes. Ici, des ventres contractés, des bras et des jambes repliées, des poings tendus, des dos voutés, semblent lutter, se défendre contre une puissance hors champ. Ces corps contorsionnés, contre qui ou contre quoi se débattent-ils ? Ce caractère énigmatique est aussi présent dans la vidéo Little Sunshine, inspirée d’un jeu d’enfants dans lequel le gagnant est celui qui réussit à faire sourire en premier les autres participants. 

Le regard de Joanna Piotrowska va ensuite s’arrêter sur des espaces de prime abord très éloignés de la sphère domestique. L’artiste photographie des cages ou enclos d’animaux dans des zoos, vidées de leurs habitants, et particulièrement les jouets et objets mis à leur disposition pour « enrichir » leur vie en captivité. Ici la mise en scène des enclos modèle un espace calqué sur l’espace domestique humain (un coin pour dormir, pour se nourrir, pour jouer etc.) et souligne un peu plus la dichotomie à l’œuvre entre protection et oppression.

Et comme tout semble être question de cadrage dans son travail, Joanna Piotrowska, dans sa plus récente série, présentée pour la première fois au BAL, pose un regard sur son propre passé, sa propre histoire. Découvrant les négatifs d’images prises par son père quelques années avant sa naissance, elle élabore un protocole s’appliquant à prélever, à l’aide d’un téléobjectif, des détails dans la matière photographique inscrite sur la pellicule. Comme dans le film Blow-up de Michelangelo Antonioni, des agrandissements d’objets semblent les indices, les marqueurs aux contours flous, de sa propre mémoire défaillante.

Se rencontrent, dans cette exploration de l’intime, les éléments humainement et socialement déterminants d’une époque. Si tout semble nous éloigner d’une œuvre réaliste, Joanna Piotrowska ne produit-elle pas, pour reprendre les mots de G. Lukacs, une « image relative, incomplète (…) effet de la vie elle-même, sous une forme rehaussée, intensifiée, plus vivante que dans la réalité » ?

— Julie Héraut et Diane Dufour

Joanna Piotrowska – Entre Nous

LE BAL 2023 / Florian Parmentier

Commissariat : Diane Dufour et Julie Héraut.
L’exposition et la publication ont reçu le soutien de Fluxus Art Projects.
L’exposition est organisée en collaboration avec Phillida Reid Gallery, Londres, la Galerie Thomas Zander, Cologne et Galeria Madragoa, Lisbonne.
La programmation du BAL reçoit le soutien de la Ville de Paris, de la Région Île-de-France et du Ministère de la Culture.

Partager

Autour de l'expo

Visite commentée

Joanna Piotrowska – Entre nous

Mercredi 17 mai 2023 – 19h

LEWIS BALTZ RESEARCH FUND #3

LAURÉATE 2018 : Joanna Piotrowska

Aller plus loin