Images à charge
Première exposition au BAL sans œuvre et sans artiste, Images à charge est consacrée à l’image produite en tant que preuve par des experts, chercheurs et historiens dans des cas de crimes ou de violences individuelles et collectives
Sont présentés onze cas depuis l’invention de prises de vue «métriques » de scènes de crimes au XIXe siècle, jusqu’à la reconstruction d’une attaque de drone au Pakistan en 2012. Pour chaque cas, un contributeur revient sur son contexte historique et géopolitique d’apparition, la finalité des images et leurs conditions de production.
« Voir, c’est croire »
La capacité d’attestation de l’image, qui prévaut dans la perception commune, est d’autant plus avérée dans le champ légal. La photographie révèle, enregistre, valide, certifie et l’usage courant de photographies dans les tribunaux, qui suit de peu l’invention du médium, le démontre : le pouvoir de vérité de l’image est un instrument de conviction essentiel au service de la justice. En réalité, ce pouvoir de vérité a toujours été ardemment débattu, parfois légitimement contesté et souvent contredit.
Comment les traces, les signes ou les symptômes d’un acte criminel peuvent-ils être découverts, compris et validés par l’image ? Comment des dispositifs de capture ou de présentation de l’image sont-ils conçus par les experts pour renforcer son caractère probatoire ?
Comment l’image se construit-elle dans un discours scientifique et historique de vérité?
« La photographie enregistre, fixe, valide, certifie. Le pouvoir d’attestation de l’image est un instrument de conviction essentiel au service de la justice. L’usage courant de photographies dans les tribunaux depuis l’invention du médium, le démontre. Mais que peut-on vraiment apprendre de ce que l’on voit sur une image ? On le sait bien, l’image révèle et occulte en même temps, en livrant des indices trompeurs, tronqués ou parcellaires de ce qui est advenu.
Plus que tout autre fait, le fait criminel s’avère opaque, indescriptible, irreprésentable. Dans la matière même de l’image sont gravés une multitude de signes clairs mêlés à des signes confus, des leurres possibles côtoient des détails signifiants. L’image est donc toujours une énigme en soi qui demande que soit dit ce qu’elle montre.
L’enjeu est alors pour les experts de construire un dispositif à même de révéler la substance de l’image, sa vérité. Richard Helmer superpose deux images de Josef Mengele, le « Livre de la destruction » inventorie les immeubles détruits à Gaza en 2009.
Le dispositif visuel montre ce qu’a priori, on ne peut pas voir.
Il « rend visible l’invisible » comme le théorise Rodolphe A. Reiss.
Paradoxalement, l’objectivité de l’image à des fins judiciaires est quelque chose qui s’élabore, se construit. Pour y parvenir, le dispositif doit atteindre un idéal de transparence, de neutralité du point de vue. La disparition de l’expert en tant qu’auteur, c’est à ce prix que l’image accède au statut de preuve.
Cette apparente absence de style dans l’image constitue une écriture en soi.
Autre paradoxe, le dispositif occulte souvent la dimension personnelle du crime et ce, alors que l’image a justement pour fin d’identifier la victime des actes de violence et le coupable de ces actes. Les clichés de Bertillon adoptent un point de vue « in-humain » en surplomb, qui veut embrasser tout le champ d’un coup. L’accumulation des portraits des victimes de la Grande Terreur démontre, avant tout, la mécanique des exécutions de masse.
Les images d’actes criminels transgressent un tabou, celui de la représentation de la mort. Leur finalité est de montrer sans critère esthétique, de témoigner sans critère moral.
Ces images « hors la loi » existent pour que justice soit faite.
Mais se rapprocher de la vérité par l’image est un exercice complexe, périlleux, non exempt de calculs de probabilités et de marges d’erreur. L’expert ne capte souvent que des indices fragiles, un scénario hypothétique, des bribes de vérité. La validation ultime de l’image en tant que preuve incombe donc toujours au bout du compte au Verbe, à l’art rhétorique de la persuasion qui s’exerce dans l’enceinte du tribunal.
Exposer ces images implique de les déplacer de leur cadre habituel de perception. Nous avons tenté de comprendre comment, quand et par qui elles ont été produites, et de proposer une perspective critique sur leur statut, ni images symboliques, ni preuves en soi. Pour l’enquêteur comme pour le spectateur, mettre en action une pensée en images, c’est déjà trouver…une fenêtre de vérité. »
-Diane Dufour
À l’occasion de l’exposition, LE BAL et les Éditions Xavier Barral co-éditent le livre Images à charge – La construction de la preuve par l’image.
La presse en parle
Commissaire : Diane Dufour
Exposition conçue avec Luce Lebart, Christian Delage et Eyal Weizman et la contribution de Jennifer L. Mnookin, Anthony Petiteau, Tomasz Kizny, Thomas Keenan, et Eric Stover. Exposition produite par Cyril Delhomme, Émilie Hanmer, Alice Rivollier et Clément Poché. Scénographie par l’Atelier Maciej Fiszer.
LE BAL remercie vivement la Société Française de photographie, le musée de l'Armée, Forensic Architecture, La Préfecture de police de Paris, L'Institut de police scientifique et de criminologie de l'université de Lausanne, L'Institut catholique de Paris, Middle East Watch, Physicians for Human Rights, Daniel Blau Gallery, Krakow Photomonth Festival, Haus der Kultiren der Welt et Southeastern Center for Contemporary Art.
Exposition co-produite avec The Photographers' Gallery (Londres), exposition du 2 octobre 2015 au 10 janvier 2016, et le Nederlands Fotomuseum (Rotterdam), exposition du 22 mai au 28 août 2016.
L'exposition bénéficie du soutien de la Maison Henriot.
Avec le soutien technique de Circad, Granon Digital et PICTO.
Partenaires média : Artpress, Connaissance des arts, Lensculture, L'Oeil de la photographie, Polka, Parisart, Wombat, TimeOut Paris, Télérama, Slash, France Culture.