Interviews des artistes à l’occasion de l’exposition En Suspens

BAL LAB Young Creators

Debi Cornwall, Welcome to Camp America : Inside Guantánamo Bay, série Beyond Gitmo

Debi cornwall / Steven Kasher Gallery, New York

À l’occasion de l’exposition En Suspens, LE BAL a donné la parole aux artistes présentés. 

Henk Wildschut
Né en 1967 à Harderwijk, Pays-Bas.
S’inscrivant dans la tradition de la photographie documentaire, Henk Wildschut photographie depuis 2005 la jungle de Calais, devenu le symbole de « l’encampement » du monde. Dans Ville de Calais, il enregistre méthodiquement à intervalles réguliers et sur un temps long, la transformation de quelques tentes de réfugiés en une véritable cité avec des restaurants, des boulangeries, des mosquées, une église, des magasins, une bibliothèque… Démantelée en octobre 2016, une ville de 10 000 habitants disparaît pour renaître ailleurs sous une autre forme. Entre visibilité et invisibilité, reconnaissance et déni, Ville de Calais marque l’inscription éphémère dans le paysage d’une société spontanée condamnée à l’effacement.

 

 

Debi Cornwall
Née en 1973 à Weymouth, États-Unis

Avocate pour la défense des droits civiques pendant 12 ans, Debi Cornwall obtient en 2014 le droit de photographier le centre de détention américain de Guantanamo. Malgré la censure militaire et l’interdiction de photographier les visages, elle rend compte du système dans toute sa complexité : lieux de détention, vie militaire quotidienne, boutique de souvenirs… Pour Beyond Gitmo, elle rencontre 14 anciens détenus de retour chez eux ou le plus souvent exfiltrés dans un des 59 « pays tiers » avec lesquels les États-Unis ont conclu des accords secrets (Albanie, Slovaquie, Salvador, Bermudes ...). Ne parlant pas la langue locale, souvent privés de papiers et ne pouvant justifier des années passées en captivité sans jugement, toujours sous le joug de décisions arbitraires quand à leur droit de circulation, ils errent. Ni tout à fait libres, ni tout à fait enfermés.

 

Jacques-Henri Michot
Né en 1935 en France
Écrivain français, Jacques-Henri Michot a publié plusieurs ouvrages à la croisée de l’écriture poétique et de la chronique politique. Dans Un ABC de la barbarie (1998 et 2014), il recense les lieux communs du langage dominant qui suspendent le jugement et font obstacle à une pensée critique de l’ordre établi. Jacques-Henri Michot fabrique ainsi « une toute petite machine de guerre contre la fausse solidité bétonnée criarde calamiteuse sinistre de la parlerie à prétention consensuelle ».

 

Mélanie Pavy
Né en 1977 en France
Mélanie Pavy mène, avec les outils de l’anthropologie et du cinéma, une démarche à la frontière de l’art et de la recherche. Go Get Lost (2017) est réalisée à partir de plans tournés par PMORPH, robot-serpent envoyé par la société Tepco en 2015 dans les zones les plus radioactives de la centrale de Fukushima. Le robot enregistre les images et les données de son exploration au coeur du réacteur, ne survivant que quelques heures au taux record de radioactivité, et devenant à son tour déchet nucléaire inaccessible à l’homme. En figurant la mort des robots, Mélanie Pavy interroge ici la menace ultime, quand la technologie, jouet des hommes, s’avère impuissante à nous sauver du désastre d’un monde sans hommes.

 

Darek Fortas
Né en 1986 en Pologne
Jeune photographe polonais, lui-même fils de mineur, Darek Fortas se penche depuis plusieurs années sur la place des mineurs dans l’histoire politique et sociale de son pays. Changing Rooms (2012) s’inscrit ainsi dans un travail spécifique sur les mines en Haute-Silésie. En ralliant les grèves initiées par Solidarnosc, menaçant de paralyser l’économie du pays, les mineurs ont joué un rôle stratégique dans la fin de l’ère communiste et l’établissement d’un nouvel ordre démocratique. Représentant une salle des pendus – nom donné aux vestiaires dans les mines – immuable depuis l’ouverture de la mine de Jas-Mos en 1964, le travail de Darek Fortas interroge ici « le pouvoir politique paradoxal des masses, capables de renverser des régimes mais impuissantes à véritablement changer leur destin ».

 

Paola Yacoub
Née en 1966 à Beyrouth, Liban
Artiste plasticienne et architecte de formation, Paola Yacoub ausculte les changements subis par le territoire libanais depuis la guerre civile. Au moment où elle réalise Les Fleurs de Damas (2002), la présence du régime syrien au Liban est profondément ancrée et visible. Des hommes, parfois accompagnés d’enfants, vendent des centaines de roses rouges dans le quartier d’Achrafieh, introduisant un ornement inhabituel dans les rues de Beyrouth. Personne ne leur parle ni ne leur achète de fleurs. Pourtant, jour après jour, ils reviennent et s’installent devant les mêmes murs blancs. Simples marchands de roses ou espions à la solde de Damas ? L’expérience de la menace s’inscrit ici entre poésie et terreur.

 

Aglaia Konrad
Née en 1960 à Salzbourg, Autriche
Aglaia Konrad a constitué depuis 20 ans un vaste corpus sur les grands centres urbains et leurs périphéries. S’y expriment les contradictions entre cité rêvée, héritage moderniste et urbanisme forcené. Son livre Desert Cities (2008) évoque le projet initié par le Président Anwar Sadat il y a 30 ans de construire 16 villes nouvelles dans le désert égyptien devant loger 500 000 habitants chacune et endiguer la surpopulation du Caire. Souvent en ruine avant même d’être habitées, coupées de toute infrastructure pouvant les rendre viables, certaines sont devenues le refuge des expulsés de la vie rurale, d’autres des villes fantôme. Ici, l’architecture, devenue pure abstraction, condamne à la fragmentation, au vide. Dans cet espace, la présence humaine paraît incongrue, anecdotique, presque accidentelle.

Images : Didier Fontan et Fabien Trémeau
Montage : Fabien Trémeau

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Images : Didier Fontan et Fabien Trémeau
Montage : Fabien Trémeau

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